Dans le visage de Lucie Aubrac

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Lucie Aubrac par Ernest Pignon Ernest

Dans son visage, dans ses écrits, Lucie Aubrac portait quelque chose qui maintenant a disparu du ciel d’Europe. Peut-être que les combattantes kurdes, les femmes de ménage grecques ou les Pussy Riot portent l’esprit de Lucie Aubrac et que nous ne le savons pas. Une rivière souterraine à l’intérieur du ventre des femmes. Peut-être qu’elles, elles en sont conscientes mais qu’elles gardent encore un peu le secret.

Dans la petite chambre d’Istanbul, j’essaie de lire les mots que Lucie Aubrac a écrits . Il y a ce livre, Ils partiront dans l’ivresse,  où elle raconte toute une vie. Sa naissance en 1912. Ses parents vignerons, l’agrégation d’histoire et le mariage avec Raymond Samuel en 1939. Et tout de suite l’occupation nazie et la nécessité de résister, dès 1940. Aubrac sera leur nom de guerre. Avec Jean Cavaillès et son mari, elle crée à Lyon le groupe Libération-sud.  Elle est enceinte, mais elle doit prendre la tête d’un commando de résistants et tendre, le 21 octobre 1943, une embuscade sur le chemin d’une fourgonnette convoyant des prisonniers. Quatre hommes ­ sont libérés, et parmi eux le mari de Lucie. Après la guerre, il y a le Mouvement de la paix, la vie au Maroc et à Rome, son engagement à la Ligue des Droits de l’Homme quand elle revient en France.

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Ali Erdogan par Ernest Pignon Ernest

 

Ils partiront dans l’ivresse, c’était le message codé pour annoncer leur départ à Londres. Hier, Marie Bardet m’envoie une photographie du dessin qu’Ernest Pignon Ernest a fait du visage de Lucie Aubrac. Pour moi c’est un cadeau. Je n’avais jamais vu ce dessin, ce regard noir au milieu de la feuille. Voici quelques jours à peine, Ernest Pignon Ernest avait dessiné le portrait d’Asli et elle n’en savait rien. Un autre cadeau au milieu des épreuves. Je pense au visage de Konstantina Kouneva, dont je n’ai pas le courage d’écrire l’histoire ici. Pas maintenant, au milieu de la nuit, quand les musiques des cafés remontent jusqu’à ma chambre d’insomnie. Qui voudra faire le portrait de cette femme, agressée dans les rues d’Athènes par un fasciste grec, le visage vitriolé, les yeux brûlés par l’acide. Je m’en voulais d’avoir pu oublier son nom. Louise Desrenards me l’a écrit, et je l’ai remerciée. Je recopie son nom à l’intérieur du cahier rouge, pour ne pas l’oublier à nouveau. Konstantina Kouneva. En grec, Κωνσταντίνα Κούνεβα, et j’ai appris que nous avions le même âge, elle et moi.

kouneva-1C’est son récit à elle que je reprends, parce qu’il raconte la barbarie qu’elle a trouvé sur son chemin. «À minuit passé, quand je rentrais du travail, j’ai vu un homme assis sur le pas de la porte, à l’entrée de mon immeuble. Il avait la tête baissée et le bras autour dans une position de souffrance. Je me suis naturellement baissée pour lui venir en aide. C’est sans doute ce qu’il attendait. L’individu s’est soudainement déployé et m’a aspergé le visage… la sensation de brûlure a été instantanée jusqu’au fond de la gorge et ma vue s’est brouillée. J’ai eu à peine le temps de reconnaître la silhouette qui me filait à moto de temps à autre quelques jours auparavant, puis tout est allé très vite…» Il faut lire le portrait qu’a fait d’elle Nadjib Touaibia dans le journal L’Humanité. L’histoire d’une femme de ménage devenue déléguée syndicale, agressée pour avoir tenu tête à ses employeurs en exigeant ses droits, hospitalisée pendant une année avant de devenir députée européenne pour Syriza.

Lucie Aubrac, Asli Erdogan, Marie Bardet, Louise Desrenards et Konstantina Kuneva. Cinq femmes dont j’ai croisé les pensées en marchant seul sous la pluie d’Istanbul, un vendredi d’avant le retour du printemps. Comme une longue tresse dans l’épaisseur des pensées qui sinon s’éparpillent dans les rues. Ce sont des liens précieux à l’intérieur d’une langue devenue étrangère, loin de l’Europe aux anciens parapets. De plus en plus étrangère maintenant que je suis seul dans les parages. En attendant de raconter à nouveau quand j’aurais retrouvé, tout à l’heure à midi, les Mères du samedi, place Galatasaray. Et d’écrire.

T.

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Nadejda Tolokonnikova, premier jour de prison

pg-38-pussy-riot-1-apJeune philosophe rêvant de révolution au pays des révolutions mortes, Nadejda Tolokonnikova fonde les Pussy Riot à 21 ans pour défendre, par une stratégie arrachée aux Sex Pistols et aux manifestes situationnistes, l’égalité des sexes et la liberté absolue d’exprimer sa pensée. Très vite, les Pussy Riot subissent une répression politique habituelle en Russie, et c’est pour les défendre que Piotr Pavlenski se coud les lèvres de fil noir, face au tribunal de justice qui allait condamner les trois jeunes femmes aux travaux forcés, revenant aux logiques périmées du Goulag soviétique.

Nous publions les écrits de Nadejda Tolokonnikova dans Un cahier rouge, parce qu’ils en appellent à une insurrection de la pensée contre tous les pouvoirs, et qu’ils racontent au quotidien une lutte pour la liberté totale d’expression, une liberté de plus en plus menacée en Europe et aux Etats-Unis, en Turquie et au Moyen-Orient, en Afrique autant qu’en Asie. Si les équipes dirigeantes du Kremlin et de la Maison blanche prétendent nous asservir, si les €urocrates et les ministres de l’Intérieur européens pensent nous endormir à coups d’état d’urgence, pendant qu’à Ankara et à Damas l’AKP et le clan el-Assad continuent de massacrer leurs populations prises au piège, nous appelons à incendier les vestiges d’un pouvoir qui n’est plus qu’une nuisance dans nos vies partageuses, comme Piotr Pavlenski avait pu mettre le feu aux portes du FSB, seul dans la nuit moscovite.

T.

« Féminisme et féministe sont des mots injurieux et inconvenants. », a déclaré la victime, le gardien de la cathédrale du Christ-Sauveur, Beloglazov, lors du procès des Pussy Riot.

Puisque c’est comme ça, jure autant que tu peux. Crache des insultes, sois inconvenant.

Je n’avais jamais su, auparavant, faire des pompes comme un homme, en touchant le sol de la poitrine. En prison, j’ai appris. Lors des promenades, je m’impose des centaines d’exercices épuisants. Et ensuite, je vais à la salle de sport, je me mets aux haltères, au home trainer, j’enseigne aux autres à boxer, je travaille les chutes.

Le Journaliste : Une dernière question. Que regrettez-vous le plus dans votre vie, que considérez-vous comme une erreur que vous aimeriez ne plus jamais commettre ?

V. Poutine : Je vais être tout à fait franc avec vous, là maintenant, il n’y a rien qui me revienne à l’esprit. Visiblement, Dieu a bâti ma vie de telle manière que je n’ai rien à regretter.

Le journaliste : Vous êtes un homme heureux.

V. Poutine : Gloire à toi, Seigneur.

L’État, c’est simplement des fonctionnaires, des employés de bureau que nous payons. Pas des patrons. Des sous-fifres. Ce qu’on demande à un fonctionnaire, c’est d’être consciencieux, discret et modeste, de rendre compte de chacun des ses actes. S’il ne le fait pas – au revoir ! – on en embauche un autre.

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Une gardienne face à une détenue dans une serre du camp de Krasnoyarsk, en Sibérie, le 5 septembre 2007. © Ilya Naymushin

Je me lève avec difficulté pour aller pisser. J’ai une faim atroce. Mon estomac rêve de nourriture, et ce rêve contamine mon cerveau.

 

Premier jour en prison.

Les toilettes se résument à un trou puant percé bizarrement dans une sorte de piédestal en carrelage. Au plafond, juste au-dessus du trou, est fixée une caméra de surveillance. Rincez-vous l’œil, enfoirés. Je baisse mon pantalon et m’accroupis.

– Petit déjeuner ! Petit déjeuner !

Le volet du guichet de ma porte de cellule se rabat avec fracas.

– On prend le petit déjeuner !
– Je refuse.
– On le prend quand même !
– Non, pas moi. Je fais la grève de la faim.
– Mais tu vas voter ?
– Oui, bien sûr, dis-je d’un ton vif.
– On se prépare alors, on s’habille, on fait son lit.

Une demi-heure plus tard, la nouvelle de ma grève de la faim est parvenue jusqu’au directeur de la maison d’arrêt, et on me conduit à son bureau. Juste après que j’ai voté.

– Arrête ça tout de suite avec moi. Reprends ta déclaration, de toute façon je ne la signerai pas.

Le directeur ne dissimule pas l’irritation que lui cause ma lettre.

– Vous êtes obligé de l’accepter. Et je ne changerai pas d’avis.
– Allons, tu vois bien que tout ça ne sert à rien, non ?
– Ma décision est prise.
– Tu te rends compte au moins de comment tu te conduis, là ?
– Et comment ?
– Comme une… une révolutionnaire, tiens.
– Très flatteur.
– Alors quoi, on se remet à manger ?
– Non.

On me ramène à ma cellule. Lumière crue qui pique les yeux et odeur de chiottes sales.

Nadejda Tolokonnikova, How to start a revolution, 2015, traduit du russe par Paul Lequesne

S’affranchir de la peur

316077616Jeune philosophe rêvant de révolution au pays des révolutions mortes, Nadejda Tolokonnikova fonde les Pussy Riot à 21 ans pour défendre, par une stratégie arrachée aux Sex Pistols et aux manifestes situationnistes, l’égalité des sexes et la liberté absolue d’exprimer sa pensée. Très vite, les Pussy Riot subissent une répression politique habituelle en Russie, et c’est pour les défendre que Piotr Pavlenski se coud les lèvres de fil noir, face au tribunal de justice qui allait condamner les trois jeunes femmes aux travaux forcés, revenant aux logiques périmées du Goulag soviétique.

Jour après jour, nous publions dans Un cahier rouge les écrits de Nadejda Tolokonnikova, qui en appellent à une insurrection de la pensée contre tous les pouvoirs. Si les équipes dirigeantes du Kremlin et de la Maison blanche prétendent nous asservir, si les €urocrates et les ministres de l’Intérieur européens pensent nous endormir à coups d’état d’urgence, pendant qu’à Ankara et à Damas l’AKP et le clan el-Assad continuent de massacrer leurs populations prises au piège, nous appelons à incendier les vestiges d’un pouvoir qui n’est plus qu’une nuisance dans nos vies partageuses, comme Piotr Pavlenski avait pu mettre le feu aux portes du FSB, seul dans la nuit moscovite.

T.

6. Être fort, ce n’est pas disposer de postes de police et de paniers à salade, mais savoir s’affranchir de la peur. Alors c’est simple : n’aie pas peur.

Au moment où l’État a décidé de notre arrestation, nous n’étions nullement des professionnels de la politique, des révolutionnaires ou bien des membres d’une cellule clandestine. Nous étions des militants et des artistes. Sincères et un peu naïfs.

Au moment de notre arrestation, nous étions plus proches de héros de Woody Allen que de Lara Croft ou d’Evelyn Salt. Et nous avions plutôt tendance à plaisanter sur nos persécuteurs qu’à les craindre. Nous étions mortes de rire en pensant au ridicule de la situation : une énorme équipe d’enquêteurs bien entraînés et payés par l’État lancée sur la piste d’un groupe de farceurs et de freaks porteurs d’affreuses cagoules aux couleurs criardes.

Nous, les cinq participantes à la prière punk, étions assises, enlacées, sac au dos. Nous buvions du café en essayant de nous accoutumer peu à peu à l’idée qu’à présent chaque gorgée de ce café risquait d’être la dernière de notre vie en liberté.

Nadejda Tolokonnikova, How to start a revolution, 2015, traduit du russe par Paul Lequesne

Mais qu’est-ce que vous foutez, mesdames ?

251191Jeune philosophe rêvant de révolution au pays des révolutions mortes, Nadejda Tolokonnikova fonde les Pussy Riot à 21 ans pour défendre, avec une stratégie arrachée aux Sex Pistols et aux tracts situationnistes, l’égalité des sexes et la liberté absolue d’exprimer sa pensée. Très vite, les Pussy Riot subissent une répression politique habituelle en Russie, et c’est pour les défendre que Piotr Pavlenski se coud les lèvres de fil noir, face au tribunal de justice qui allait condamner les trois jeunes femmes aux travaux forcés, revenant aux logiques périmées du goulag soviétique.

Jour après jour, nous publions dans Un cahier rouge les écrits de Nadejda Tolokonnikova, qui en appellent à une insurrection de la pensée contre tous les pouvoirs. Si les équipes dirigeantes du Kremlin et de la Maison blanche prétendent nous asservir, si les €urocrates et les ministres de l’Intérieur européens pensent nous endormir à coups d’état d’urgence, alors qu’à Ankara et à Damas l’AKP et le clan el-Assad continuent de massacrer leurs populations, nous appelons à incendier les vestiges d’un pouvoir néfaste pour nos vies partageuses, comme Piotr Pavlenski avait pu mettre le feu aux portes du FSB, seul dans la nuit moscovite.

T.

5. Il est une question pertinente à poser aux Pussy Riot : « Mais qu’est-ce que vous foutez, mesdames ? Pourquoi vous ne restez pas tranquillement assises sur votre canapé à boire des bières ? »

Qu’est-ce qui nous pousse à agir ? Je suis réellement en colère de voir que les principales institutions politiques de notre pays sont les forces de coercition : l’armée, la police, les services de renseignement, les prisons. Le tout contrôlé par un quasi-super-héros solitaire et parfaitement cinglé, qui monte à cheval à moitié nu, un homme que rien n’effraie, excepté les homosexuels. Un homme si généreux en amité qu’il a donné la moitié du pays à ses amis les plus proches, tous des oligarques.

En agissant de concert avec toi, nous pourrons établir d’autres institutions.

Début 2012. Nous parlons avec des journalistes, une cagoule sur la tête. Personne n’a jamais vu nos visages. J’ai les jambes qui me démangent à cause des collants. La laine des cagoules nous pique la bouche et les yeux. Elles sont maculées de la sauce des pâtes et des pizzas que nous mangeons pendant l’interview. Par-dessus le marché, nous manquons régulièrement d’y mettre le feu avec nos cigarettes. 

Nadejda Tolokonnikova, How to start a revolution, 2015, traduit du russe par Paul Lequesne

Ose. Ne prie pas. Écoute-toi. Vis.

Nadejda Tolokonnikova, © Fred Kihn

Nadejda Tolokonnikova, © Fred Kihn

Jeune philosophe rêvant de révolution au pays des révolutions mortes, Nadejda Tolokonnikova fonde les Pussy Riot à 21 ans pour défendre, avec une stratégie arrachée aux Sex Pistols et aux manifestes situationnistes, l’égalité des sexes et la liberté absolue d’exprimer sa pensée. Très vite, les Pussy Riot subissent une répression politique habituelle en Russie, et c’est pour les défendre que Piotr Pavlenski se coud les lèvres de fil noir, face au tribunal de justice qui allait condamner les trois jeunes femmes aux travaux forcés, revenant aux logiques périmées du goulag soviétique.

Jour après jour, nous publierons dans Un cahier rouge les écrits de Nadejda Tolokonnikova, qui en appellent à une insurrection de la pensée contre tous les pouvoirs. Si les équipes dirigeantes du Kremlin et de la Maison blanche prétendent nous asservir, si les €urocrates et les ministres de l’Intérieur européens pensent nous endormir à coups d’état d’urgence, alors qu’à Ankara et à Damas l’AKP et le clan el- Assad continuent de massacrer leurs civils pris au piège, nous appelons à incendier les vieux symboles d’un pouvoir de plus en plus nuisible à la vie partageuse, comme Piotr Pavlenski avait pu mettre le feu aux portes du FSB, seul et ultime résistant dans la nuit moscovite.

T.

Je ne tiens plus le compte de tout ce qu’on a voulu me demander de faire : ne fais pas ci, ne t’occupe pas de ça, ne va pas là-bas. Les performances, ça ne sert à rien. Les chansons non plus. Les photos – seulement si elles sont correctes. Toutes les idées qui me viennent sont trop audacieuses ou provocatrices.

Je choisis l’action. De temps en temps, je prends un coup sur la tête à cause de ça – toute chose a ses inconvénients. Ose. Ne prie pas. Écoute-toi. Vis.

Le féminisme n’a évidemment rien de naturel pour la Russie et n’y a aucune racine. Le féminisme a pour objectif de détruire les fondements du christianisme. Le féminisme s’emploie à placer la femme au même niveau que l’homme, en lui ôtant ses privilèges. La femme se trouve ainsi séparée de l’homme. Le féminisme détruit la famille. Les droits spécifiques des hommes, des femmes, des enfants détruisent la famille. Si nous sommes gens de foi, nous devons percevoir le féminisme comme un poison qui, s’insinuant dans la conscience de la société et de la famille, rend l’être humain malheureux.
(Déclaration de l’archiprêtre Dmitri Smirnov, porte-parole de l’Église orthodoxe russe)

Nous avons toujours adoré regarder les vidéos de l’archiprêtre sur You Tube. Notre cher petit cœur, il est un de ceux qui a inspiré les Pussy Riot. Nous roulions sous la table en regardant ses interventions – et à force de nous écrouler de rire, nous avons eu l’idée un jour de créer un groupe punk féministe.

Nadejda Tolokonnikova, How to start a revolution, 2015, traduit du russe par Paul Lequesne

Nadejda Tolokonnikova, ne vous sauvez pas. Tombez amoureux

Pussy Riot

Pussy Riot

Jeune philosophe rêvant de révolution au pays des révolutions mortes, Nadejda Tolokonnikova fonde les Pussy Riot à 21 ans pour défendre, par une stratégie arrachée aux Sex Pistols et aux manifestes situationnistes, l’égalité des sexes et la liberté absolue d’exprimer sa pensée. Très vite, les Pussy Riot subissent une répression politique habituelle en Russie, et c’est pour les défendre que Piotr Pavlenski se coud les lèvres de fil noir, face au tribunal de justice qui allait condamner les trois jeunes femmes aux travaux forcés, revenant aux logiques périmées du goulag soviétique.

Jour après jour, nous continuons de publier les écrits de Nadejda Tolokonnikova, qui en appellent à une l’insurrection d’une pensée libérée de tous les pouvoirs. Si les clans dirigeants du Kremlin et de la Maison blanche prétendent encore nous asservir, si les €urocrates et les ministres de l’Intérieur européens pensent nous endormir à coups d’état d’urgence, alors qu’à Ankara et à Damas l’AKP et la clique d’el-Assad continuent de massacrer leurs peuples, nous appelons à incendier les vieux symboles d’un pouvoir qui n’est plus qu’une nuisance, comme Piotr Pavlenski avait pu mettre le feu aux portes du FSB, dans la nuit moscovite.

T.

Pussy Riot

Pussy Riot

3. Des raisons pour quitter la Russie, les gens en ont des tas. En général, ils en ont beaucoup moins pour rester. Les raisons qui poussent à rester se révèlent en revanche plus essentielles. On a envie d’y compatir, on a envie de s’y rallier.

— Pourquoi je ne pars pas ? Je vis ici… c’est ici que je ressens des choses, c’est ici que je… tombe amoureuse.

Ne vous sauvez pas. Tombez amoureux.

Moscou, aéroport de Cheremetievo. On vient juste de rentrer de Russie. Le douanier prend mon passeport, le passe dans l’ordinateur, le reprend, l’examine. Décroche le téléphone. Demande :
— Tolokonnikova Nadejda Andreïevna. Elle peut entrer ?
Il écoute les instructions, hoche la tête. Puis tamponne le passeport, m’invite à avancer.
Suivante : Macha. Le douanier entre entre ses données dans la machine et soupire.
— Mademoiselle, qu’est-ce qui se passe d’habitude pour vous à la douane ?
— ???
— Oui, quand vous passez la frontière et qu’un gars comme moi est assis là, qu’est-ce qu’il fait ? Il appelle son supérieur ?
— Honnêtement, je ne sais pas. Pourquoi, j’ai tout faux là-dedans ? Demande Macha en désignant du menton l’ordinateur.
— Pas exactement tout, mais vous savez, ce n’est pas terrible.

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Nadejda Tolokonnikova,
How to start a revolution, 2015, traduit du russe par Paul Lequesne

Pussy Riot & Nadejda Tolokonnikova, le pouvoir ici c’est nous

pussy-2Jeune philosophe rêvant de révolution au pays des révolutions mortes, Nadejda Tolokonnikova fonde les Pussy Riot à 21 ans pour défendre, avec une stratégie arrachée aux Sex Pistols et aux manifestes situationnistes, l’égalité des sexes et la liberté absolue d’exprimer sa pensée. Très vite, les Pussy Riot subissent une répression politique habituelle en Russie, et c’est pour les défendre que Piotr Pavlenski s’est cousu les lèvres de fil noir, face au tribunal de justice qui allait condamner les trois jeunes femmes aux travaux forcés, revenant aux vieilles logiques du goulag soviétique.

Jour après jour, nous publions les écrits de Nadejda, qui en appellent à une insurrection de la pensée contre tous les pouvoirs. Si les équipes dirigeantes du Kremlin et de la Maison blanche prétendent nous asservir, si les €urocrates et les ministres de l’Intérieur européens pensent nous endormir à coups d’état d’urgence, pendant qu’à Ankara et à Damas l’AKP et le clan d’el-Assad continuent de massacrer leurs peuples, nous appelons à incendier les vieux symboles d’un pouvoir périmé, vite, comme Piotr Pavlensky avait pu mettre le feu aux portes du FSB, dans la nuit moscovite.

T.

2. Le pouvoir, ici, c’est nous.

Russians by Birth, Rebels by Choice.

Quand l’aiguille, brutalement, transperce l’ongle et pénètre la chair, les cinq premières secondes la conscience n’analyse pas ce qui se passe. Ni le mal ni rien. Cinq secondes plus tard, la vague de douleur déferle : ouah ! Regarde, l’aiguille te traverse le doigt. Voilà pourquoi tu ne peux pas retirer ta main. C’est tout simple.

Tu pourras rester cinq minutes seule à seule avec ta phalange abîmée, mais pas plus. Il faut continuer à coudre. Tu t’es déjà planté l’aiguille dans le doigt, non ? Comment ça un pansement ? D’où veux-tu qu’on le sorte ? Tu es dans la zone, ma petite.

Alors tu couds. Tu trembles – non de douleur, mais d’étonnement : on vient de pénétrer ton doigt pour la première fois. Considère qu’on t’a ôté ta virginité. C’est un grand événement.

Nadejda Tolokonnikova, How to start a revolution, 2015, traduit du russe par Paul Lequesne

Pussy Riot & Nadejda Tolokonnikova, ébranler ce foutu système politique

nadejda-t-1Jeune philosophe rêvant de révolution au pays des révolutions mortes, Nadejda Tolokonnikova fonde les Pussy Riot à 21 ans pour défendre, avec une stratégie arrachée aux Sex Pistols et aux manifestes situationnistes, l’égalité des sexes et la liberté absolue d’exprimer sa pensée. Très vite, les Pussy Riot subissent une répression politique habituelle en Russie, et c’est pour les défendre que Piotr Pavlenski se coud les lèvres de fil noir, face au tribunal de justice qui allait condamner les trois jeunes femmes aux travaux forcés, revenant aux vieilles logiques du goulag soviétique.

Jour après jour, nous publions les écrits de Nadejda Tolokonnikova, qui en appellent à une insurrection de la pensée contre tous les pouvoirs. Si les équipes dirigeantes du Kremlin et de la Maison blanche prétendent nous asservir, si les €urocrates et les ministres de l’Intérieur européens pensent nous endormir à coups d’état d’urgence, pendant qu’à Ankara et à Damas l’AKP et le clan d’el-Assad continuent de massacrer leurs peuples en révolte, nous appelons à incendier les vieux symboles d’un pouvoir périmé, comme Piotr Pavlensky avait pu mettre le feu aux portes du FSB, dans la nuit moscovite.

T.

Si je dois vendre mon âme pour que Poutine s’en aille et qu’une politique alternative voie le jour en Russie, je le ferai.
Ne brade pas ton âme.

Développe la culture de la rébellion. Il existe une culture de l’alimentation, du cinéma, de la lecture, et il existe une culture de la révolte. Elle consiste à savoir poser les questions qui fâchent, à savoir mettre en doute et à apporter des changements.

Le 24 septembre 2011, Poutine a annoncé qu’il briguait un troisième mandat. Un troisième mandat, c’est grave. Au terme des deux premiers, Poutine a installé à sa place le pseudo-libéral Medvedev. Mais maintenant, il revient. Et le 24 septembre 2011, il est clair à présent que notre vie va changer. Clair que nous allons au devant de temps difficiles, où vivre sans mensonge deviendra une gageure. Où vivre sans mensonge deviendra pour de bon difficile.

Je tremble à la perspective de grands changements. Jamais je n’ai éprouvé un tel vertige devant des événements politiques qu’à cet automne-là.

Laisser passer cette saison politique – élections législatives et élection présidentielle -, c’est impossible. La laisser passer, ce serait commettre la plus grosse erreur de ma vie.

Alors je prends une résolution : puisse cette saison électorale devenir décisive dans mon existence. Je ferai tout pour ébranler ce foutu système politique où tout est joué d’avance.

Nadejda Tolokonnikova, How to start a revolution, 2015,
traduit du russe par Paul Lequesne

Venger les mots

N’écris pas
avec des crayons

APPRENDS LES 6300 LANGUES QUE L’EMPIRE ASSASSINE

Serge Pey,
QÀU
NE SOIS PAS UN POÈTE
SOIS UN CORBEAU
NOUS SOMMES
UNE POIGNÉE
DE CORBEAUX
SUR LA TERRE

Manifeste pour une poésie de marche et de manœuvre

Opéra/Partition

ARMÉE INTERNATIONALE
DE LA POÉSIE

Dernier Télégramme, 2009

Dans la grisaille politique où s’organise la mort générale et définitive des poèmes, Serge Pey appelle les poètes à occuper les cimetières. C’est un tract qu’il a écrit et prononcé debout comme un chant, au commencement d’un livre rouge, Venger les mots.

« Parce que la poésie conjugue ses verbes
au centre des dictionnaires brûlés »

« Parce que la poésie est mise à mort »

Et Serge Pey n’est pas quelqu’un qui parle sans attiser le feu qu’il faut pour incendier tous les cimetières d’anciens poèmes assassinés. Dans l’écriture de Pey, la poésie est un acte qu’il faut hisser haut sur ses propres épaules. Les deux épaules d’un homme en marche avec, à l’intérieur de son sac, les manifestes incandescents d’une poésie absolument insoumise.

Quand il écrit par exemple,

« Parce que sur la tombe vivante d’Antonio Machado
nous avons déposé un bâton pour marcher »

c’est qu’il a réellement marché du Mirail, l’université où il enseigne au numéro 5, Allée Antonio Machado, jusqu’à la tombe du poète, au cimetière de Collioure. Parce que Machado est mort à Collure le 22 février 1939, épuisé d’avoir fui les armées franquistes et traversé à pied la frontière espagnole. Trois jours avant la mort de sa mère, dans la même chambre d’hôtel.

 

img_0447_1Ce que Serge Pey appelle une poésie de marche et de maœuvre.

André Velter est poète lui aussi. Et quand le poète Velter parle du poète Pey, c’est immédiat : s’allume face à nous un grand feu d’étincelles arrachées au bois vert d’une langue qui porte encore en elle toute sa sève :

« Accroché à ses bâtons d’écriture comme à des mâts naufragés, Serge Pey tangue et danse, rythme et profère. Il est le troubadour voué à une marche verticale, le trimardeur du verbe à l’avancée violente qui va et vit d’effraction en effraction. Il est aussi celui qui relie l’ensemble des destins foudroyés, des murmures étouffés, des secrets bannis.

Seul à dire, à proférer, il n’est jamais isolé : sa scansion accueille toutes les migrations du sens, toutes les métamorphoses du chant. Il est l’homme que le cri des origines et la rumeur des âges engagent au présent. Il entend et répercute ce qui d’ordinaire se tait : de l’exaltation massacrée au lancinant retour des suicidés de la société, de la jubilation d’être à l’irradiante tendresse des dépossédés. »

Venger les mots est un livre engagé au présent. Bruno Doucey le raconte dans sa préface, en ouverture du livre rouge de Serge Pey :

« Que devient un pays lorsque sa poésie n’est plus le miroir d’une culture, le reflet d’une façon de vivre, de penser et d’être ? La réponse va de soi, ou presque : les civilisations naissent, vivent et meurent : l’air devient parfois si difficilement respirable dans certaines sociétés que les êtres humains courent le risque d’une asphyxie généralisée ; les régimes qui emprisonnent les poètes sont condamnés… non pas simplement à « mourir de froid » comme l’écrivait le poète Patrice de la Tour du Pin, mais à pourrir, comme finissent toujours par pourrir la main du bourreau ou la cravache de l’officier. La poésie est indispensable à la vie. »

« Parce que la poésie est interdite
dans les radios et les journaux

Parce que la poésie est défigurée dans les écoles
au nom de la gymnastique des rhétoriques

Parce que nous avons envie de vomir les lettres
que les mots ne veulent plus

Parce qu’on ne peut plus nous tuer
puisque nous sommes déjà morts »

Je me demande si l’Appel aux poètes à occuper les cimetières a été lu. Et s’il a été lu, quand va commencer l’insurrection. Dans la nuit qui vient, de préférence. Je me demande si les poèmes de Serge Pey sont entendus, quand il lui prend de proférer leurs paroles en pleine rue, ou dans les médiathèques, les festivals où on l’invite. J’attends le jour annoncé des émeutes. Impatient. De plus en plus nombreux à porter l’impatience.

« Parce que nous n’avons plus le choix

Parce que nous allons transformer nos tombes
en quartier général et en poste avancé de la vie »

img_4467En attendant l’insurrection générale des poètes et des corbeaux, Serge Pey entre en solidarité. Des solidarités écrites, et par conséquent vécues, avec Léonard Peltier, leader emprisonné de l’American Indian Movement aux USA, ou Nadejda Tolokonnikova, l’une des Pussy Riot en Russie. C’est dans ces deux poèmes,

PRIÈRE PUNK
POUR
LES PUSSY RIOT

et

ADRESSE
AU
PRESIDENT DES USA
DANS LA LANGUE DES SIGNES
DES INDIENS DES PLAINES
POUR LA LIBERATION
DE LEONARD PELTIER
MILITANT DE
L’AMERICAN INDIAN MOVEMENT
EMPRISONNÉ
DEPUIS 1976

img_4468que Serge Pey dissémine la puissance hors-siècle de sa parole. Il faut les lire, ses poèmes. Laissez tomber vos journaux, vos chroniques, vos éditos qui pleurent sur la violence et la laideur déterminées des trahisons politiques. Laissez tomber la politique, la fausse démocratie mort-née sous l’œil des caméras de surveillance. Laissez tomber les catastrophes financières organisées, les coups d’Etat militaires avortés et les primaires interminables de la politique nationale. L’urgence des vivants qu’on incarcère est ailleurs, et elle appelle nos solidarités brûlantes, incarnées, insoumises au nouvel ordre carcéral. Pour annuler Poutine lisez Pey. Pour court-circuiter le cirque Trump lisez l’Adresse au président des USA de toute urgence :

« je dis depuis Lewisburg
que l’administration
de la vérité a une bouche qui ment »

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Serge Pey, Venger les mots, Éditions Bruno Doucey, Paris, 2016 .
André Velter, À pleine puissance, préface au recueil de Serge Pey, Poésie publique, Poésie clandestine, poèmes 1975-2005, Le Castor Astral, Bordeaux, 2006.
Bruno Doucey, Poète en son maquis, préface à Venger les mots, Éditions Bruno Doucey, Paris, 2016 .