La conception de l’amour chez Saint Augustin, le philosophe chaoui des Aurès

Difficile de savoir si les plumes blanches à la surface de l’eau appartenaient à la jeune cane qui s’était réfugiée, apeurée, sous les hautes herbes au bord de l’eau. Ou à ce goéland déjà ivre de vent qui continuait de pousser son long cri en plein ciel. Leurs deux présences m’accompagnaient et ces deux plumes insubmersibles semblaient le signe que les oiseaux m’avaient salué au passage, conscients que nos regards s’étaient croisés, qu’ils n’avaient rien à craindre venant de moi. J’avais confiance et je voulais que les oiseaux éprouvent le même sentiment face à moi, assis dans l’herbe du rivage pour dessiner leurs silhouettes à l’intérieur du cahier rouge ouvert sur mes genoux.

Avec moi, j’avais emporté un livre de Saint Augustin que j’avais retrouvé sur une étagère du camion. Et je me souvenais, maintenant, que la thèse de philosophie de Hannah Arendt portait sur la «Conception de l’amour chez Saint Augustin».

Saint Augustin lisant les Épîtres de Paul, fresque de la Collégiale de San Gimignano

Saint Augustin lisant les Épîtres de Paul, fresque de la Collégiale de San Gimignano

Dans la rue de Sète où j’allais afficher les paroles des enfermés au centre de rétention, un ange chaoui m’avait apporté un café avant de m’expliquer que Saint Augustin, le très vieux philosophe des Aurès, appartenait à son peuple de têtes de bois.

Et dans un autre livre, La Crise de la culture, Hannah Arendt avance l’idée que c’est Aurelius Augustinus qui aurait permis à la pensée chrétienne de tourner le dos à son antipolitisme des origines. Cette idée de l’antipolitisme m’avait marqué, je m’en souviens. Elle rapprochait l’apolitisme du christianisme primitif à celui des États totalitaires du XXe siècle. « La terreur totalitaire, disait Arendt, détruit tout espace entre les hommes et les écrase les uns contre les autres. » 

Hannah Arendt

Hannah Arendt. Middletown, Conneticut, Wesleyan University Library, Special Collections & Archives

Elle donnait l’exemple ce ces persécutions que subissaient les nouveaux parias – Juifs et apatrides – dans l’Europe du IIIe Reich comme en URSS. Aujourd’hui, les parias ont le visage de ces nouveaux exilés que nos préfectures persécutent.

Ensuite j’ai recopié ces deux phrases, volées à un livre d’Arendt oublié sous l’orage d’avant-hier : « Par conséquent, ce n’est pas du tout de la superstition, c’est même une attitude réaliste que de s’attendre à ce qui ne peut être prévu et prédit, de se préparer à des miracles dans le domaine politique. Et plus la balance pèse lourdement en faveur du désastre, plus miraculeux apparaîtra le fait accompli librement ; car c’est le désastre, et non le salut, qui se produit toujours automatiquement et doit, par conséquent, toujours paraître inéluctable. »

Ces deux phrases, il ne faut pas les oublier.