J’essaie seulement de comprendre. Lentement. De comprendre et raconter comme je peux. La Turquie semble un sombre chaos où j’apprends à me repérer avec quelques journaux, quelques livres et par chance, de longues discussions enfumées avec Asli Erdoğan, Mehmet Atak et Valérie Manteau. Alors je viens de relire la déclaration de Selahattin Demirtaş, co-président du HDP, le Mouvement Démocratique des Peuples. Un parti de gauche, le parti des minorités dans une Turquie de plus en plus tournée vers l’islam, un peu comme une ligne de front à l’intérieur d’une guerre civile beaucoup plus vaste, presque mondiale à force de franchir les frontières.
Les deux co-présidents du HDP, Selahattin Demirtaş et Figen Yüksekdağ, ont été arrêtés par la police turque le 4 novembre 2016, avec neuf autres députés du même parti. Rappelons quil s’agit d’un parti parlementaire, qui représente plusieurs millions de bulletins de vote aux deux dernières élections législatives. Imaginez qu’en France, en Belgique ou en Suisse, on vienne arrêter votre député sous prétexte qu’il continue de défendre, à l’assemblée et dans sa circonscription, les idées pour lesquelles vous lui avez donné votre bulletin de vote. Vous trouveriez le mot Démocratie d’un seul coup mensonger. Pourtant, c’est encore ce mot qu’utilisent nos diplomates pour évoquer la Turquie d’aujourd’hui. Ce qui signifie que nos consuls et nos ambassadeurs dévaluent avec un grand sourire et des courbettes un des noms communs les plus importants dans nos vies en commun. Et qu’ils s’essuient les pieds sur une croyance qui m’a fait accepter, il y a 26 ans, l’idée d’être un père. En 1989 et 1990, je pensais que les démocraties gagnaient peu à peu du terrain. En 2016, je regarde nos diplomates trembler face aux nouveaux fascismes plus ou moins religieux qui prennent les rennes du pouvoir au Moyen-Orient. Pendant que les vrais démocrates, qu’ils soient députés, maires ou conseillers municipaux du HDP, vivent dans la terreur d’être lynchés par des fanatiques à peine sortis de la mosquée, ou dans la certitude d’être arrêtés à l’aube pour avoir accompli leur mandat.
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Face à ses juges, Selahattin Demirtaş a prononcé des mots que nous voulons partager : « … je ne serai pas l’une des marionnettes de cette mascarade judiciaire créée de toutes pièces sur ordre d’Erdoğan, dont le passé est entaché par ailleurs par de nombreux manquements éthiques et moraux. Je ne répondrai à aucune de vos questions. Je ne pense pas qu’une procédure judiciaire instruite par vous pourrait être juste et légitime. Même ma détention ici aujourd’hui est illégale.»
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Sommes-nous capables d’être aussi clairs en Europe ?
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Disons-le haut et fort, en criant s’il le faut, devant les tribunaux d’injustice de l’État turc : aux côtés de Selahattin Demirtaş et d’Asli Erdoğan, nous sommes venus ici pour combattre le tyran avec nos armes. L’écriture et la solidarité, aussi élémentaires que primitives. Nous n’en voulons pas d’autres. Nous leur laissons les fusils mitrailleurs, les véhicules blindés, les chambres de torture dans les prisons d’État. En sachant que la haine qui nourrit le tyran est devenue inguérissable, de plus en plus dangereuse pour la paix dans le monde, bien au-delà des frontières turques.
(2) Les quatre articles qui ont valu à Asli Erdoğan d’être menacée de prison à vie viennent d’être traduits par la revue Kedistan : http://www.kedistan.net/category/ec…
(3) Si Raphaël Lemkin a décidé de forger un mot nouveau, c’est pour parvenir à décrire un phénomène inédit à propos des événements tragiques qui se sont déroulés en Arménie. La notion de crime contre l’humanité remonte quant à elle à la Première Guerre mondiale. Lemkin publie Axis rule in Occupied Europe, une brochure de réflexion sur l’occupation de l’Europe par les Nazis en 1944. Il forge alors « un mot nouveau pour un crime sans nom », qui deviendra un concept indispensable à la compréhension des guerres du XXème et du XXIème siècle. Par génocide, Lemkin tente de désigner la « destruction d’une nation ou d’un groupe ethnique national », avec une dimension intentionnelle déterminante. Depuis, ce terme a été repris par les instances internationales, au lendemain de la guerre, et décrit parfaitement le mécanisme des violences d’Etat qui veulent faire du peuple kurde tout entier une organisation terroriste.